Choisir la solitude après avoir aimé follement les autres
Pendant longtemps, depuis mon enfance jusqu’à mes premières sorties en boîte en terminale : j’avais le contact facile avec les autres et soudainement tout s'est effondré.
Je traînais en bande à la fois au lycée mais aussi dans mon sport, les bandes étaient l’endroit où je me sentais le plus en confiance. C’était tellement valorisant pour moi de faire partie d’un collectif et de créer des relations avec des filles et garçons qui étaient témoins de mon évolution, et avec qui je créais toutes sortes de premiers souvenirs inoubliables.
Les bandes de filles étaient l’endroit où on se confiait, où on se moquait mais on pouvait aussi se soutenir les unes les autres à des moments où on errait entre deux périodes de nos vies. Seconde, première, terminale : je parlais à tout le monde, je rigolais, je m’ouvrais aux amitiés et j’adorais aller aux soirées, négocier avec mes parents pour prévoir ces sorties tardives, et tous ces rituels excitants de l’époque.
C’était une adrénaline toute particulière que je ressentais avant ces moments hors du temps, je pouvais tout oser car j’étais en totale confiance à ces moments là. Plusieurs séries retracent l’importance des amitiés multiples : Friends, How I Met Your Mother en sont des exemples célèbres qui montrent la force des amitiés qui durent dans le temps.
La confiance se trouvait dans la force et le nombre du groupe, ça apportait aussi un statut vis-à-vis des autres ; les personnes isolées sont quand même jugées et critiquées surtout dans notre cursus scolaire actuel. Par exemple, j’ai goûté à l’alcool pour la première fois dans l’une de ces soirées en suivant les conseils plus ou moins avisés de mes copines. Les expériences se sont enchaînées avec différents groupes de potes, où bien sûr l’amitié se basait également sur les potins, ragots et critiques d’autrui : rien ne rapproche autant que détester les mêmes personnes pour les mêmes raisons.
Mais je n’arrive plus à me connecter autant aux gens dans la réalité. Bien sûr, j’ai depuis quitté le cadre traditionnel du lycée et son quotidien si prévisible, ses chaises et ses bureaux inadaptés. Les groupes se sont dispersés et la plupart de mes longues amitiés ont disparu avec, impossible de maintenir des liens avec des personnes devenues trop différentes de soi-même je suppose.
Cette phase est tellement étrange : on n’est pas totalement adultes mais on commence à entrer dans une réalité concrète. Pour cela, quoi de plus naturel que devoir se séparer de personnes de notre enfance. Personnes qui ont été pourtant si précieuses dans notre évolution. Le groupe ne dissimule plus les différences trop contradictoires entre chacun, la rupture devenant souvent inévitable.
Pour moi, cette étape m’a permis de rentrer en phase avec mes convictions personnelles et enfin clairement m’identifier dans cette société par moi même. Quitter des groupes et une position confortable n’est jamais facile, ça revient à sauter dans un vide auquel personne ne peut te préparer concrètement ; il est difficile pour nos parents et nos proches de matérialiser ce vide et ces craintes. On doit juste s’y confronter en faisant nos premiers choix, en suivant ce qui nous définit et surtout en choisissant la manière dont on souhaite y parvenir.
Pour moi cette transition entre l’adolescence et le monde des quasi-adultes a été trop brutale. Concrètement je suis passée du Sud au Nord ; de droite à gauche ; de l’aveuglement à la colère permanente.
Je me suis donc adaptée à ma nouvelle situation mais cette fois-ci en découvrant l’apparition d’importantes séquelles. Même si j’ai rencontré de nouvelles personnes bien plus proches de mes valeurs et de ma vision du monde, je suis devenue une personne coupée en deux.
Mon ancien moi vs mon nouveau moi, ma famille vs mes nouvelles appartenances ; tout ça a nécessité une espèce de gymnastique qui s’est révélée complètement paralysante voire néfaste.
C’est à force de vouloir être radicalement engagée dans mes valeurs et mes combats, que je me suis aussi niée intimement.
En bref, deux ans après avoir quitter mon nid de toujours et mes personnes repères, j’ai découvert l’anxiété généralisée ainsi que les crises d’angoisses épouvantables à vivre. Ce que je raconte est tristement banal et narcissique. Après tout conjuguer une perte de sens et de repères à un manque de confiance en moi arrive très souvent quand on arrive à la vingtaine.
Mais ce qui me marque le plus, c’est que j’ai profondément changé de manière de vivre. Je ne fréquente quasiment plus les mêmes personnes qu’il y a 2 ans, et je me suis rendue compte que voir des nouvelles têtes ne m’enthousiasmaient plus. Pire même, j’angoissais de devoir affronter les délicats small talks, devoir présenter un parcours de vie dont je n’étais pas fière, et surtout tenter de cacher toutes mes fêlures pourtant si évidentes.
Une solution toute simple a émergé pour moi : compenser en étant plus qu’active sur tous les réseaux sociaux possibles. Poster, envoyer des messages, réagir à tous les contenus possibles : voici la liste de quelques unes des techniques pour me persuader de ne pas m’être transformée en une recluse du monde. Un surinvestissement dans le virtuel pour compenser la solitude physique dans laquelle je suis progressivement entrée.